Tandem et 1936, le célérifère, le diminutif « la Petite Reine »
Des affirmations inexactes qui ont perduré longtemps
Nombreuses sont les idées reçues qui perdurent dans l’histoire et les médias. Les pages suivantes en évoquent trois relatives au vélo : le Célérifère (qui n’a jamais existé), le surnom « la Petite Reine » (qui n’a rien à voir avec la Reine des Pays Bas) et l’année 36 avec le Tandem associé aux congés payés.
Le célérifère : il n’a jamais existé, c’était une voiture publique tirée par des chevaux, de même que le velocifère. L’historien français Baudry de Saunier a dans son ouvrage de 1891 contribué à propager cette confusion, l’opinion de l’époque ne pouvant admettre que ce soit un allemand qui ait inventé le vélo ; de plus, à un an prés, sa publication a correspondu avec le centenaire de la Révolution et dater cette invention à cette époque lui convenait parfaitement. Toutes les gravures représentant ce type d’engin sont pourtant postérieures à 1817 et sont des draisiennes. La supercherie sera dénoncée dès le début du 20° s sans suite puis en 1950 par un chercheur canadien (W. Jeannes dans sa thèse en Sorbonne) sans suite aussi et enfin mise au grand jour dans les années 80 avec les recherches de Jacques Seray.
La Petite Reine : En 1891 Pierre Giffard directeur du Petit Journal consacre au vélo un ouvrage intitulé « la Reine Bicyclette » où il vante ses mérites pour la qualité de la vie : santé, mobilité… pour tous. Cette appellation aura la destinée qu’on lui connaît. C’est la même année qu’un poète, Edmond Haraucourt parle dans une poésie parue dans la revue « le Cycle » de « la Petite Reine à 2 roues » ce qui fait litière de l’attribution de cette appellation à la Reine des Pays Bas, cycliste convaincue certes mais étrangère à cette affaire.
Le diminutif « bicyclette » (de bicycle) vient d’Angleterre. La mode était partout dans le monde au vocabulaire français. Ce mot apparaît dans le catalogue de la maison Rudge : « the Rudge Bicyclette Dwarf Safety ». Il découle du vocable « bicycle » complété par le suffixe « ette ». Le terme anglais « the » est neutre et peut se traduire en français par « le » ou « là » ; les importateurs en France de ce matériel, vu la désinence féminine « ette » lui appliquèrent ce genre.
Le Tandem :il est fortement lié aux congés payés en particulier par les médias de l’époque et dans la mémoire collective depuis. Ces machines existent depuis la fin du 19°s ; elles sont utilisées dans les vélodromes comme entrainement humain avec des engins à 2,3,4,5 places avant d’être remplacée par des engins motorisés. Il existe également une pratique « Loisirs ». Une particularité : c’est Madame qui est devant (pour ramasser la poussière disait le patriarcat de l’époque , alors tout puissant). On trouvera dans les lignes qui suivent un extrait d’un texte de Raymond HENRY, notre historien du cyclotourisme qui revisite cette question et une pratique bien antérieure. Il a écrit ce document à partir de son important ouvrage « Histoire du Cyclotourisme », il est paru dans la revue « le Sixcentcinquante » ; en voici quelques extraits :
« A la fin des années 20 et au début des années 30 déjà, le tandem connaissait une certaine vogue dans les milieux cyclotouristes. Il était utilisé pour accomplir de grands raids à travers la France avec un écho dans les colonnes du Cycliste et de la revue fédérale FFSC mais était pratiqué plutôt par des jeunes randonneurs.
Grâce aux nouveaux loisirs, jeunes ménages peu fortunés ou couples dans la force de l’âge peuvent goûter les joies de la campagne. En cette période de crise où le moteur à 2 jambes (ou à 4) est le plus économique, le tandem est une belle invention qui permet de conjuguer les efforts et d’aider le plus faible.
Les médias alors redécouvrent le tandem et le parent de tous les avantages. Les journaux organisent des concentrations, des randonnées et des rallyes. La publicité reflète les aspirations de la société, en particulier la revue fédérale à travers les encarts publicitaires évoquant le tandem :12% en 1934,26% en 1935 ce qui montre que l’élan initial a été donné par le milieu cyclotouriste et non par les lois sociales comme on aurait tendance à le croire. La suite : 1936 :27%,1937 :26%,1938 :34%. L’élan initial a donc été amplifié par le phénomène des congés payés.
Le camping suit le même schéma : partir un jour, c’est bien ; hôtel ou camping, il faut choisir. Le choix est vite fait, selon l’épaisseur de la bourse. Les grandes sociétés sportives de compétition sont prises d’une affection soudaine pour cette activité de plein air qui a la faveur des masses vacancières. Comme pour le tandem, la presse s’empare du sujet. Dans notre petit monde cyclo, cependant il n’est pas nouveau. Dans les encarts publicitaires en augmentation de nos revues comme le Cycliste, il y a 30 articles en 1935 et31 en 1936 ; pour les remorques 17% en 35 et 27% en 36.
Les cyclotouristes adopteront le duralumin pour les accessoires et pour le cadre. Les coureurs y viendront 15 ans plus tard !
Voici les plus importantes mutations de cette période euphorique de l’histoire du Cyclotourisme qui correspond au Front Populaire. Dans la mémoire collective, l’image du tandem est associée aux premiers congés payés ? N’oublions pas que le mouvement cyclotouriste, modeste et ignoré par l’histoire, a ouvert la voie à cette évolution vers une ère nouvelle de loisirs de plein air autorisés à tous. Il a en quelque sorte préparé et testé les outils de la grande déferlante populaire d’après 1936 ».
Jean François RINGUET
Albi Cyclo Tourisme