Je me souviens… écrivait Georges PEREC dans un de ses ouvrages. S’il avait été cyclotouriste, voici ce qu’il aurait pu écrire :
Je me souviens de l’accueil de certains hôteliers lors de voyages itinérants lorsque nous sollicitions un repas ou/ et une chambre : au pire un refus (l’hôtel-restaurant est complet alors qu’il paraît plutôt désert, au mieux une place dans l’arrière salle ou un coin reculé du bar loin de la salle à manger) . Quant au vélo, il trouvait sa place dans l’arrière cour ou un débarras.
Nous représentons maintenant une cible commerciale démarchée sous forme de prix promotionnels, d’un accueil adapté pour le cyclo et la machine et même le transport des bagages à l’étape suivante !l’un de mes amis Luc Passera a trouvé une formule lapidaire résumant l’attitude des hôteliers vis-à-vis des cyclos :« de vagabonds impécunieux et non désirés nous sommes devenus une cible rémunératrice ».
Je me souviens de l’apparition des roues libres (à visser, naturellement) à 6 vitesses au grand émoi de nos techniciens : plus larges ils craignaient de voir le parapluie de la roue augmenter et fragiliser ainsi le rayonnage, le standard de l’époque, jugé suffisant était de 5 ; nous en sommes à 11 actuellement.
Je me souviens de l’apparition des vélos à assistance thermique ( un petit moteur à essence fixé au cadre, prés du pédalier, de façon rustique par des colliers, bruyant et suintant) déclenchant les mêmes échanges d’arguments et raisonnements que nous connaissons avec les VAE actuels. Mais ils sont moins tranchés car notre fédération vieillit. Notre historien du cycle : Raymond Henry m’a évoqué au cours d’un entretien un parallélisme ente les deux situations, le matériel nécessaire à l’assistance devenant prépondérant sur la partie cycle, les utilisateurs passant de l’un à l’autre en fonction de leurs moyens financiers en particulier dans les années cinquante où le choix était déjà offert :
Années 50 et suivantes : VAT→ cyclomoteur (la mobylette de Motobécane ou le Peugeot 105) → le scooter (Vespa …)→ voiture (4cv)
Années 2000 : VAE→ scooter électrique→ voiture électrique
Beaucoup de VAE actuels des gammes grand public ressemblent à des chars d’assaut, seule une minorité intègre pour le moment des composants plus discrets mais à des prix plus élitistes. C’est un nouveau créneau paraissant très prometteur qui s’est ouvert pour l’industrie du cycle et prend le relais du VTT qui plafonne.
Je me souviens avoir fréquenté des Auberges de Jeunesse(les AJ),souvent isolées loin des centres villes (héritage de l’entre -deux guerres) pour leur prix modique, gérées par une structure associative et un responsable, le Père Aubergiste (Per’aube) qui faisait l’accueil et distribuait les tâches (vaisselle, ménage…).Leurs prix sont devenus moins attractifs, elles sont concurrencées par les chaines hôtelières à bas coût et ne sont plus gérées uniquement par des associations réunies en une fédération mais aussi par des fonds de pension !
Je me souviens des cartes Michelin au 1/200 000 où les pentes étaient indiquées de façon détaillée par un système de chevrons à 3 niveaux de pourcentage avec une fourchette de 4 à7% puis 7à12% et au-delà de 12, qui nous convenait parfaitement avant de le modifier en 5à moins de9%,9à moins de 13%,et plus de13%. Certains cyclos qui ont débuté avec ces cartes les utilisent encore, le réseau secondaire et communal ayant en général dans la France profonde peu bougé (routes et voies express apparues au fil des décades nous concernant moins).L’apparition récente des GPS résout le problème mais une confrontation avec la carte papier évite parfois l’atterrissage dans une cours de ferme (attention au chien).
Je me souviens de l’apparition des pneus crayon en 20mm de section dont la minceur et l’inconfort tranchait avec nos 28mm en 700C ; le standard s’était établi depuis plusieurs décennies à 23 mm mais il évolue, même au plus haut niveau de la compétition vers des sections de 25 mm et on parle même de 28mm : pression élevée et jantes carbone sont passées par là pour maintenir un certain niveau de confort, la surface de contact au sol restant identique.
Je me souviens de cette réflexion d’une marchande ambulante de pizza à l’entrée du camping fédéral de la SF de Mazères, habituée des campings du bord de mer à la vie nocturne affirmée :
« Ces campings cyclos sont curieux, ce sont les hommes qui font la vaisselle et à 21h tout le monde dort ! »
Je me souviens du cyclo-sport à la FFCT surtout répandu dans la région parisienne dont les organisateurs très actifs dans les débats des assemblées générales fédérales défendaient surtout leur épreuve et n’ont jamais réussi à s’entendre ; en Province la moindre côte était l’objet d’une montée chronométrée. Cet aspect ambigu du cyclotourisme orienté vers la compétition a disparu sous la présidence Jacques Vicart qui a clarifié les domaines respectifs FFCT/ FFC. Le cyclo-sport est devenu un sport- loisirs transformé en sport-business par certains.
Je me souviens des délais accordés dans les différents brevets ou randonnées permanentes, différenciés suivant 2 critères : Homme et Dame (les sexes étaient encore séparés à la FFCT et le terme « Dame » fleurait bon le XIX°s) et l’âge (moins ou plus de soixante ans).
Je me souviens de l’apparition des freins MAFAC à tirage central qui constituaient un progrès dans le freinage par leur puissance et leur facilité de réglage grâce au rapport de leurs bras de leviers qui sera repris dans les V-Brake.
Je me souviens…c’était le cyclotourisme du milieu du siècle dernier mais je n’entonnerais pas le refrain bien connu : « de mon temps… », je laisse à ceux qui le souhaitent le soin de remplir les pointillés.
Jean François RINGUET